Molière et les Limousins

je t'aime, moi non plus.

Il est des blessures narcissiques dures à soigner. Celle de Molière avec les Limousins a mis quelques siècles à cautériser.La légende raconte que Molière vint jouer à Limoges, probablement vers 1649. Il raconta avoir été fort mal reçu et sa pièce fut sifflée par le public.

Un affront pour Molière qui aurait eu une fâcheuse conséquence. Molière créa ainsi le personnage éponyme d'une de ses plus célèbres pièces, Monsieur de Pourceaugnac, bourgeois rustre, idiot et... Limousin d'origine !

Las, la blessure fut cuisante, et pour quelques siècles. En regard des livres que recèle la bibliothèque de Limoges, bon nombre de Limousins meurtris, mais pas rancuniers, ont composé avec les stigmates de cette réputation d'inculte. Chacun y va de sa résilience : les uns trouvent des excuses à Molière et promeuvent la magnanimité limousine, d'autres profitent de l'aubaine pour redoubler la farce.

Évoquer le passage de Molière en Limousin est ainsi source d’une fierté douloureuse.

Il n'est qu'à regarder les articles et évocations de l'aventure de  «Pourceaugnac» dans le très érudit Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin. Ci pour rechercher l'hôtel dans lequel séjourna Molière, ci pour confirmer l'emplacement des arènes de Limoges d'après Molière, etc. On trouve ainsi pas moins de 22 citations entre 1845 et 1947 (c'est plus que Balzac, 20 citations, ou George Sand, 8 citations, deux exemples d'écrivains ayant séjourné plus longtemps en Limousin).


Petit retour sur cette idylle contrariée, au fil des publications de la Bibliothèque numérique du Limousin et de Gallica :

 

René Fage érudit local à la plume alerte, engage toute sa force de persuasion et ses recherches historiques (en 42 pages) pour expliquer les raisons de la brouille de Molière  avec les Limousins (ils ne souhaitaient pas réellement sa venue, ses hôtes étaient dans un mauvais jour, etc.). Bon, je force un peu le trait... Le propos de René Fage est surtout d’inscrire Molière dans une tradition littéraire initiée par Rabelais qui, dans Pantagruel, raillait déjà  l' «escholier limousin» incapable de formuler une pensée cohérente, baragouinant une langue inaudible entre français, latin d'université et occitan. En somme, Molière n'était «responsable» que de sacrifier à un genre.

 

Cette fois-ci René Fage convoque Etienne Baluze, écrivain et docteur en droit canon, bibliothécaire de Richelieu, et avant tout LIMOUSIN. Vous vous souvenez peut-être un peu de l'interdiction de « Tartuffe », pièce de Molière jugée hérétique, et de la "Cabale des dévots" qui s'en suivit. Des années plus tard, sollicité par Colbert pour avis, le respectable LIMOUSIN Etienne Baluze, à défaut de sauver la pièce, ne la condamne pas et fait une réponse de ...NORMAND !   La rancœur n’est pas un mal limousin, c'est là ce qu'il faut retenir.

 

Rentré dans ses terres limousines après son camouflet parisien, voici un Monsieur de Pourceaugnac bienveillant et magnanime à l'égard de jeunes amants. La pièce se lit très  vite (un acte), avec beaucoup de références à la pièce de Molière mais aussi l'éloge de la douceur limousine (la pièce se clôt sur l'idylle heureuse au bord de la  Briance).

 

Derrière le pseudonyme de Critès se cache Antoine-Joseph Gorsas, né à Limoges en 1751, et qui devint à Paris un journaliste pamphlétaire influent pendant la Révolution. Gorsas annonce la couleur dès la première page de son ouvrage où il joue de cette origine limousine réputée grossière pour justifier l'excès de ses irrévérences cocasses : « un Limousin est auteur de ce livre, […]. le lecteur ne sera donc pas étonné de rencontrer dans ce livre des échantillons d'une langue qu'on parle dans le pays de cet honnête M. de Pourceaugnac si vilainement joué, purgé, clistérisé et sbriganisé à Paris ».

 

Car pour Camille Jouhanneaud tout est affaire de langue et de représentation. Ce que la pièce de Molière trahit c'est cette opposition entre oc et oïl, entre un Paris lointain et une province reculée qui a ses codes spécifiques : un mode de vie, des mœurs et des coutumes portés par une langue, l'occitan, qui n'évolua pas au même rythme que la culture issue du Nord. De là «on n'hésite guère à railler ni même calomnier les gens qu'on ne connait pas ou que l'on ne comprend pas bien. Ce fut le point de départ de la légende, comme de toutes les légendes, et qui trouva naturellement quelques échos dans les œuvres de certains écrivains humoristiques ou critiques du temps.»

 

Ah! Si Molière eut goûté l'occitan et son espièglerie proverbiale, je suis sûre qu'il eût changé de langue !  

La liste serait encore longue de tous les auteurs limousins ayant commenté l'épisode Pourceaugnac. Johannes Plantadis dans un article de 1921 du bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze (référence Bfm) reprend, non sans finesse, l'historique détaillé de cette postérité.

Et ici vous ne trouverez qu'une infime partie de cette aventure...

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