Affaire Lafarge
En 1840, l'affaire Lafarge a provoqué une intense agitation en Corrèze et dans tout le pays, divisant la France entre partisans et opposants à Lafarge. Malgré l'apparente simplicité d'un cas d'empoisonnement, l'affaire revêtait un caractère politique en raison du contexte et du statut social des protagonistes. Marie Fortunée Capelle, épouse Lafarge, représentait la monarchie orléaniste face aux légitimistes. Impliquée dans deux procès distincts à Brive et Tulle, elle fut accusée de vol et d'empoisonnement de son mari, Charles Pouch-Lafarge. La question de sa culpabilité reste une énigme contemporaine.
Les faits
L'affaire Lafarge a débuté le 11 août 1839 avec le mariage de Marie Fortunée Capelle, 23 ans, et Charles Pouch-Lafarge, veuf de 28 ans et maître de forge à Beyssac en Corrèze. Le mariage, organisé rapidement par une agence matrimoniale pendant le voyage d'affaires de Pouch-Lafarge à Paris, a été célébré malgré les différences évidentes entre les milieux sociaux des époux. Le lendemain de la cérémonie, le couple est parti pour la Corrèze, arrivant au Glandier, commune de Beyssac, le 15 août 1839.
Marie a été profondément déçue en arrivant dans sa nouvelle demeure, contrairement aux descriptions romantiques faites par son mari. Le prétendu château merveilleux était en réalité un ancien couvent délabré, et l'usine censée assurer la prospérité de la famille était en ruines, indiquant une entreprise au bord de la faillite. Choquée, Marie a écrit une lettre à son mari exprimant son mépris et le priant de la laisser partir, même en le menaçant de mettre fin à ses jours. Cependant, avec le temps, elle s'est adaptée à sa nouvelle vie au Glandier et a retrouvé des sentiments plus positifs envers son mari. Elle a même rédigé un testament lui léguant tous ses biens, geste auquel son mari a répondu en faisant de même en signe de réciprocité.
En novembre 1839, Charles Pouch-Lafarge se rend à Paris pour des affaires financières et pour déposer un brevet pour un nouveau procédé de fabrication du fer. Pendant son absence, sa femme Marie Capelle écrit à un pharmacien pour obtenir de la mort aux rats en raison d'une infestation au château et aux forges. Elle envoie également des gâteaux et son portrait à Charles. À son retour le 18 décembre 1839, Charles tombe malade après avoir consommé les gâteaux et décide de rentrer chez lui. Arrivé au Glandier le 4 janvier 1840, il consulte le médecin de famille, pensant qu'il souffre d'une simple angine.
Dans un même temps, Marie Capelle envoie une lettre à M. Eyssartier, pharmacien à Uzerche, demandant de nouveau de la mort aux rats. Pendant ce temps, la santé de Charles Pouch-Lafarge se détériore, et des soupçons d'empoisonnement émergent au sein de sa famille. Il décède le 14 janvier 1840 dans d'atroces souffrances, suscitant des doutes quant à l'implication de son épouse, Marie Capelle, dans un empoisonnement à l'arsenic, selon un courrier adressé au procureur du roi par son beau-frère.
Les rouages de la justice se mettent en marche
Une instruction judiciaire est initiée contre Mme Lafarge, née Marie Fortunée Capelle. L'autopsie pratiquée le 16 janvier 1840 sur la personne décédée ne révèle rien, mais des organes sont prélevés pour une expertise ultérieure. Lors d'une perquisition au Glandier, la présence d'arsenic est constatée dans des potions destinées à M. Charles Pouch-Lafarge. En conséquence, le procureur du roi demande au juge d'instruction du Tribunal de première instance de Brive, M. Léon Lachapelle, de délivrer un mandat d'arrêt contre Marie Fortunée Capelle.
- Le 23 janvier 1840, à 9 heures du matin les brigadiers et gendarmes, Magne et Deon, procèdent à l'arrestation de Marie Capelle, au Glandier. Cette dernière est transportée à la maison d'arrêt de Brive.
- Le 31 janvier 1840, le commissaire de police Jacques Antoine Desrote effectue une perquisition à l'appartement où Charles Pouch-Lafarge a séjourné à Paris, rue Sainte-Anne n°79, du 22 novembre 1839 au 1er janvier 1840. Cette perquisition est menée en conformité avec une ordonnance du juge d'instruction M. Labour et une commission rogatoire du juge d'instruction de Brive. L'objectif est de rechercher des fragments de gâteaux suspectés d'avoir causé des problèmes à Pouch-Lafarge. Malgré la recherche, aucun fragment n'est trouvé. Cependant, le témoin, M. Parent Jean-Baptiste, garçon d'hôtel âgé de 34 ans, confirme l'arrivée d'un paquet suspect le 18 décembre 1839, ainsi que les vomissements de M. Pouch-Lafarge le lendemain.
- Le 7 février 1840, le juge d'instruction du Tribunal de première Instance de Brive, assisté du greffier, rend visite à Marie Capelle à la maison d'arrêt de Brive afin de l'interroger sur sa dispute avec son mari, sur son testament et sur les achats successifs de mort aux rats.
- Durant une perquisition, le 9 février 1840, au Glandier, les officiers de gendarmerie, recherchant des preuves quant à l'empoisonnement, mirent la main sur tout autre chose. Ils découvrirent, en effet, dans un secrétaire une boîte contenant des diamants. Ces derniers vont être l'objet d'un procès à part entière.
- Le tribunal correctionnel de Brive : Marie Capelle est inculpée d'avoir, dans le courant du mois de juin 1839, soustrait frauduleusement une parure de diamant au château de Busagny, prés de Pontoise, au préjudice de son ancienne amie, Mme de Léautaud. Le procès s'ouvrit le 9 juillet 1840 et opposa les époux Léautaud à Marie Fortunée Capelle. Les témoins assignés se succédèrent durant toute la procédure et après une déposition rocambolesque de Marie Capelle, les jurés parviennent à la culpabilité de la prévenue concernant le vol des diamants. La partie civile demanda l'impression à mille exemplaires du jugement dans la presse, le versement de dommages et intérêts, la restitution des bijoux et conclut à l'application de l'article 401 du Code pénal, c'est-à-dire cinq ans de prison. Le 15 juillet 1840, le tribunal correctionnel de Brive rend son verdict et la condamne à deux ans de prison, à l'impression des mille exemplaires dans la presse et à verser en dommages et intérêts, à la partie civile, 2481 francs.
- Le 18 juillet 1840, une mise en accusation contre Marie Fortunée Capelle pour assassinat est lancée par le procureur Général du roi l'envoyant devant les Assises de la Corrèze à Tulle. Aussi, c'est devant un jury hostile, déjà convaincu de sa culpabilité dans l'affaire du vol de diamants, que Marie Capelle eut à répondre du crime d'empoisonnement de son mari.
- Les Assises de la Corrèze à Tulle : Le procès s'ouvrit le 3 septembre 1840. Lors du procès, de nombreuses expertises furent menées : Le 5 septembre 1840, est présenté un rapport de l'investigation chimique de l'estomac et de son liquide ainsi que des vomissements de Charles Pouch-Lafarge faite par Dupuytren et Dubois père et fils, tous trois chimistes de Limoges. Ce dernier ne fait nullement état de la présence d'arsenic.
- Dans un même temps, la Cour d'assises du département de la Corrèze ordonne l'exhumation du corps de Charles Pouch-Lafarge. Celle-ci fut réalisée le 7 septembre 1840, à Beyssac. Plusieurs procédés de l'époque sont utilisés, celui d'Orfila, de Marsh et de Devergie. Les résultats se révélèrent être négatifs concernant la présence d'arsenic. Une nouvelle expertise fut alors ordonnée. Un rapport d'expertise et d'analyse, fait par Dupuytren et Dubois père et fils, des pièces à conviction ramenées du Glandier révèlent la présence d'arsenic dans du lait de poule, de l'eau panée et de la poudre ainsi que sur un filtre et sur une boîte.
- Suite à de nombreuses expertises contradictoires, le 19 septembre 1840, deux experts de renom sont assignés au procès : M. Mathieu Orfila, et M. Alexandre Bussy. Ils sont requis pour comparaître et procéder à une expertise devant les Assises de Tulle qui révélera la présence d'arsenic dans l'estomac du défunt et de son liquide ainsi que dans les viscères thoraciques et abdominaux.
- Le verdict était rendu, Marie Fortunée Capelle est déclarée coupable d'empoisonnement sur son mari et condamnée aux travaux forcés à perpétuité.
- Le 12 décembre 1840, lors de l'audience publique tenue au Palais de justice de Paris, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation formé par Marie Capelle.
Le transfert
Marie Capelle, veuve Lafarge, accompagnée de Clémentine Serva, sa femme de chambre, quitta, le 8 novembre 1841, la prison de Tulle pour être transférée à la maison centrale de force et de correction de Montpellier afin d'y subir sa peine. Sa santé s'altéra progressivement durant sa détention et par conséquent, elle fut admise en 1851 à l'asile de Saint-Paul-de-Mausole, à Saint-Rémy-de-Provence. Elle passa, en fait, 10 ans en prison puis fut ensuite graciée par décret en 1852 par Louis Napoléon (Napoléon III).
Marie Aimée Fortunée Capelle décéda à Ussat, canton de Taras, en Ariège, le 7 septembre 1852, à l'âge de 37 ans.
Un doute plane toujours sur cette affaire, justifié ou non par les irrégularités de la procédure et les contradictions des expertises réalisées.
Le procès en Assises de Marie Fortunée Capelle eut un retentissement à travers la justice contemporaine.
De nombreuses reconstitutions furent organisées :
- le procès Lafarge fut reconstitué sur la scène du théâtre municipal de Brive, le mercredi 9 février 1938.
- La joute oratoire fut reprise par Me Meynier, avocat à la Cour d'appel de Limoges, et Me Andrieu, du barreau de Tulle, et sous la présidence de Me Lacoste, du même barreau.
- Cela donna également lieu à une réalisation cinématographique. Le cinéma Rex, à Brive, fit une projection en première mondiale de "l'Affaire Lafarge," le lundi 21 février 1938, sous la présidence d'honneur du ministre de l'éducation nationale de l'époque. Film réalisé par Pierre Chenal tiré du roman d'Ernest Fornairon. Arch. dép. de la Corrèze, 6 AV 2 (1939).
- La littérature s'empara également très largement de ce fait divers avec de nombreux auteurs qui retracèrent le parcours de "l'empoisonneuse".
L'affaire Lafarge continue et continuera encore de faire couler beaucoup d'encre tant le doute d'une erreur judiciaire subsiste.
L'avancée de la Science a tout de même permis à Marie Fortunée Capelle, veuve Lafarge d'être réhabilitée par l'Académie de médecine de Paris.
Référence du document : RES.P LIM T423